top of page

L'effet Shepard : une illusion sonore à explorer avec FizziQ

Dernière mise à jour : il y a 4 jours

Vous connaissez bien sûr l'illusion de l’escalier de Penrose, cet escalier qui monte indéfiniment et qui a été popularisé par l'artiste M.C. Escher. Mais connaissez vous l'effet Shepard-Risset, une illusion acoustique imaginée dans les années 1960 par le psychologue américain Roger Shepard, et améliorée par le chercheur en informatique musicale Jean-Claude Risset, qui donne l’impression qu’un son monte — ou descend — sans jamais atteindre de sommet. Découvrons et analysons cet effet étonnant avec l'application FizziQ.


Aux origines de l’illusion

Roger Shepard obtient son doctorat en psychologie à Yale en 1955, puis rejoint les Bell Labs, le célèbre laboratoire de recherche de l’entreprise Bell. Il y explore l’idée d’un équivalent sonore de l’illusion de Penrose. Grâce à un nouvel outil tout juste inventé à l’époque — le synthétiseur numérique de Max Mathews — Shepard montre qu’il est possible de créer l’illusion d’une montée ou d’une descente [1] en superposant plusieurs sons espacés d’une octave et joués en boucle.


Quelques années plus tard, le compositeur et chercheur francais, Jean-Claude Risset, prolonge cette découverte en créant une version continue de l'iullusion [2] [3] : au lieu d'une successiuon de notes, Risset crée un "glissando" infini où les fréquences montent et descendent sans interruptions apparentes. On parle alors de l'échelle Shepard-Risset devenue la forme la plus connue de cette illusion acoustique.


Comment fonctionne l’effet Shepard ?

L’illusion de Shepard-Risset est créée en superposant plusieurs sons purs espacés d’une octave et en les faisant monter ensemble. Au fil de cette montée, les sons les plus aigus s’atténuent jusqu’à disparaître, tandis que de nouveaux sons graves apparaissent discrètement. Les fréquences intermédiaires, auxquelles notre oreille est la plus sensible, montent de façon continue et donnent une impression claire de glissement.


Comme notre cerveau se concentre surtout sur cette montée centrale et ne remarque pas les transitions très progressives en haut et en bas du spectre, il ne perçoit jamais le moment où la séquence boucle. Le son semble alors monter sans fin, comme sur un escalator circulaire dont on ne verrait jamais le retour au point de départ.


Écouter et analyser l’effet Shepard avec FizziQ

L’effet Shepard est facilement accessible dans l'application FizziQ à partir de la Bibliothèque de sons. Dans le menu menu principal, appuyer sur Outils > Bibliothèque de sons > Shepard. En pressant le bouton Play, on entend immédiatement la montée “infinie”.


La séquence est produite avec seulement trois octaves. On peut trouver sur internet des enregistrements composé d'un nombre supérieur d'octaves pour une effet encore plus prononcé. Cette version est cependant plus facile à analyser, ce que nous allons faire dans la suite de cet article.


La fréquence fondamentale : la preuve que tout est une illusion

Un son qui monterait réellement à l’infini n’a pas de réalité physique. Pour s’en convaincre, il suffit d’afficher la fréquence fondamentale dans FizziQ. Après avoir lancé la séquence dans la bibliothèque, on va appuie sur Mesure > Microphone > Fréquence fondamentale


Effet Shepard - Fréquence fondamentale avec FizziQ
Analyse de la fréquence avec FizziQ

Ce qu’on observe est très instructif :

  • La fréquence fondamentale monte régulièrement.

  • Puis, vers 650 Hz, elle chute brusquement.

  • Et le cycle recommence.


En clair : la fréquence ne monte pas indéfiniment. Le son recommence… mais notre cerveau ne le voit pas venir.


Le spectre : là où tout s’éclaire

L’analyse spectrale révèle la mécanique cachée. Pour cela revenons à l'écran de Mesures > Microphone > Spectre de fréquences



Si on étudie la dynamique du spectre dans FizziQ, on constate différents phénomènes :

  • une composante dominante qui grimpe progressivement et gagne en intensité,

  • puis qui commence à s’atténuer,

  • tandis qu’une autre, plus grave, prend doucement le relais.


Ce passage de témoin est tellement progressif qu’on n’entend qu’une seule chose :une montée continue, alors qu’en réalité une nouvelle onde remplace la précédente. C’est un effet de fondu-enchaîné sonore, parfaitement réglé, qui trompe l’oreille.


Pour aller encore plus loin

Un outil d'analyse particulièrement puissant est le spectrogramme, qui montre l'évolution des fréquences dans le temps : l'axe horizontal représente le temps, l'axe vertical les fréquences, et les couleurs leur intensité.


Spectrogramme de l'effet Shepard avec l'application FizziQ Web
Analyse spectrogramme avec FizziQ Web

L'application mobile FizziQ ne permet pas encore de tracer le spectrogramme, mais vous pouvez utiliser FizziQ Web (la version navigateur) pour cette analyse. Le spectrogramme révèle alors toute la mécanique de l'illusion : on y voit clairement les tons aigus qui s'estompent en haut du spectre pendant que de nouveaux tons graves apparaissent en bas.


C'est la visualisation parfaite pour comprendre le "fondu enchaîné" qui crée l'impression de montée infinie !


Pourquoi notre cerveau tombe-t-il dans le piège ?

L’illusion de Shepard-Risset fonctionne parce qu’elle exploite trois caractéristiques de notre audition :

  1. Notre attention se focalise sur ce qui change le plus. Quand plusieurs sons montent en même temps, le cerveau suit spontanément la progression la plus nette — celle du registre médian — et ignore en grande partie les sons qui apparaissent ou disparaissent doucement aux extrémités du spectre. Cette sélection naturelle crée l’impression d’une montée continue.

  2. Nous n’entendons pas toutes les fréquences avec la même intensité. Les sons très graves et très aigus sont perçus beaucoup plus faiblement que ceux du milieu. Ainsi, lorsque les composantes aiguës disparaissent et que de nouvelles composantes graves apparaissent, ces transitions restent presque invisibles auditivement. Les sons intermédiaires, qui “glissent” en permanence et sont les mieux entendus, dominent la perception.

  3. Le cerveau ne parvient pas à repérer la boucle, en particulier parce que les sons sont espacés d’une octave.Deux sons séparés d’une octave sont perçus comme la même note à une hauteur différente. Comme les sinusoïdes de l’illusion montent en synchronisation parfaite, le cerveau n’arrive pas à distinguer où une couche se termine et où une autre recommence. Les variations d’amplitude masquent encore davantage ce raccord, rendant la boucle totalement imperceptible et donnant l’illusion d’une montée ou d’une descente infinie.


D’autres illusions sonores à explorer avec FizziQ

L’effet Shepard n’est qu’un exemple parmi d’autres illusions acoustiques passionnantes :

  • Effet McGurk : ce que nous voyons modifie ce que nous croyons entendre.

  • Battements binauraux : deux tons différents dans chaque oreille créent une fréquence fantôme.

  • Fondamentale manquante : le cerveau reconstruit une note grave absente.

  • Paradoxe du triton : une même paire de notes peut sembler monter ou descendre selon les auditeurs.


Ces phénomènes sont autant d’occasions d’aborder l’acoustique, la psycho-acoustique et le fonctionnement de notre perception, avec une dimension ludique qui parle immédiatement aux élèves.


Conclusion : un superbe terrain d’expérimentation

L’effet Shepard montre que notre oreille, comme notre œil, peut être trompée. Avec FizziQ, il devient un excellent support pour comprendre comment fonctionne le son, comment il est analysé, et comment notre cerveau interprète — parfois mal — ce qu’il reçoit.



Références :

[1] Roger N. Shepard — « Circularity in Judgments of Relative Pitch »

Journal of the Acoustical Society of America, vol. 36, n°12, pp. 2346-2353, 1964.


[2] Jean-Claude Risset — « Pitch control and pitch paradoxes demonstrated with computer-synthesized sounds ». Journal of the Acoustical Society of America, vol. 46, p. 88 (section A), 1969.


[3] E. Vernooij — « Listening to the Shepard-Risset Glissando »

Frontiers in Psychology, 2016.


[4] I. Braus — « An Overview of Pitch Circularity and Shepard Tones in … »

Music Perception, 1995. (Vol. 12, pp. 323–351).


[5] E. M. Burns — « Circularity in relative pitch judgments for inharmonic complex tones: the Shepard demonstration revisited, again ». Perception & Psychophysics, 1981, vol. 30(5), pp. 467-472.


 
 
 

Commentaires


bottom of page